La course d'anthologie du Mont Fuji avec la victoire sur le fil de Toyota me donne l'occasion de faire un point sur le championnat, après, comme l'année dernière, une première partie de saison passée sur les circuits (Spa, Le Mans, Nürbürgring).
Sur le plan sportif, comme le prouve cette dernière course qui restera dans l'histoire avec les 3 premiers de 3 marques différentes, qui sont restés quasiment à moins de 30 s d'écart pendant 6 heures, ce championnat est tout bonnement exceptionnel. Les 3 constructeurs engagés en LMP1 sont maintenant chacun montés sur la plus haute marche du Podium.
En ce qui concerne les forces LMP1 en présence cette année, l'Audi très osée aérodynamiquement, a pris le dessus en vitesse pure après des débuts difficiles, notamment à Spa et au Mans, mais souffre toujours de problèmes de fiabilité.
La Porsche qui est toujours dans le coup grâce à sa conception plus ancienne, mais qui était d'avant-garde et pensée d'une feuille blanche pour le nouveau règlement, a eu de la chance mais aussi a parfaitement joué le jeu stratégiquement à chaque course.
Quand à la Toyota, elle a probablement cette année le meilleur moteur, sa position en léger retrait s'expliquant par une architecture totalement pensée pour le Mans. Dès lors, sa carrosserie génère peu d'appuis et elle a du mal à suivre sur les circuits plus lents.
Pour revenir au Mans, on ne peut mettre complètement la défaite de Toyota sur le compte de la malchance, même si celle-ci est particulièrement cruelle pour l'équipe. En effet, Sur la Toyota n°6, Conway et Kobayashi ont commis plusieurs erreurs qui les ont écartés de la lutte pour la victoire. La dernière pirouette de Kobayashi dans le bac à sable du karting dimanche en fin de matinée est catastrophique, car Toyota qui était à ce moment mettre du jeu avec deux voitures aussi rapides et plus sobres que la Porsche, devenait d'un seul coup tributaire du destin avec une voiture contre une, destin qui a décidé de frapper au plus mauvais moment à 2' de la fin. Ce qui manque à Toyota pour gagner Le Mans, n'est pas tant une troosème voiture, mais des pilotes parfaitement fiables sur 24 heures, ne commettant
aucune erreur (en 2014, c'était Lapierre qui avait fait des bêtises).
Passons maintenant à la technique, car c'est le règlement qui fait toute la beauté et l'intérêt de ce championnat. Rappelons que son principe très simple est de donner une allocation d'énergie par tour de circuit, les solutions techniques choisies par les concurrents étant quasiment libres. Le but étant de diminuer la consommation des voitures, l'hybridation est obligatoire pour les constructeurs, avec différentes catégories possibles en fonction de l'énergie restituée par tour. Des équivalences sont réalisées entre carburants, mais aussi entre classes d'énergie, afin que celui qui hybride le plus sa voiture (et donc consomme le moins) ait un avantage de 0,5 s/MJ sur un tour tour du Mans. C'est ce qu'on appelle l'EoT. Chaque année, l'EoT est revue après Le Mans, en fonction de tous les paramètres relevés par télémétrie par la FIA et l'ACO, de façon à rééquilibre les forces.
Le contrôle des performances est réalisé de façon très simple en diminuant au besoin l'allocation d'énergie. On arrive ainsi à des résultats étonnants. Ainsi en 2016, malgré des voitures plus rapides qu'avant l'instauration de ce nouveau règlement une Porsche ou une Toyota engagées dans la classe 8 MJ consomment 31,6 l/100 km (essence), alors qu'une Audi ne dépasse pas 25,5 l/100 m (diesel) (cf.
ce lien de l'ACO). Pour donner une idée, les Peugeot et Audi Diesel d'il y a quelques années consommaient bien le double de l'Audi actuelle, la Toyota TS030 déjà hybride en était encore à 55 l/100 km, et je parie un caramel mou qu'une Lexus GS 450h lancée à fond sur le circuit du Mans serait à des consommations proches de ces LMP1 2016 !
Il faut dire que l'on est sur une autre planète en terme d'efficience. Ainsi, les moteurs, même essence sont bien au delà des 40% de rendement, avec des taux de compression de 17:1 pour un atmo (le V8 de Toy de l'année dernière). Les 8 MJ récupérés sur un seul tour vous permettraient de faire pas loin de 20 km en EV sur une Prius Prime.
Si vous regardez l'EoT, vous serez surpris de voir à quel point le Fuel Factor qui mesure la différence de rendement entre moteur essence et diesel est faible : moins de 7%. Et encore, probablement du fait de l'arrivée du nouveau moteur Toyota d'une efficacité remarquable, cet écart s'est encore réduit après Le Mans 2016, de 0,5 point à 6,4% (cf. les bulletins D0006 avant le Mans et D0033 après le Mans)
L'ACO ne compte pas en rester là. Une nouvelle diminution de l'allocation d'énergie comme cette année pourrait bien être faite l'année prochaine. 2018 devrait amener un nouveau règlement toujours plus ambitieux en terme d'hybridation et permettant une nouvelle classe de récupération de 10 MJ, qui nécessitera 3 dispositifs de récupération d'énergie. La consommation des essences devrait alors tomber sous les 30 l/100 km et celle des diesels sous les 25 l/100km, ahurissant par rapport aux performances des véhicules. Le but ultime de l'ACO est d'arriver d'ici quelques années à un règlement ouvert à la Pile à Combustible, ce qu’aimerait bien d'ailleurs BMW.
A noter que si les solutions techniques étaient très différentes entre les 3 constructeurs en 2014, en poussant le règlement vers de plus en plus d'économie, on va inévitablement vers des solutions qui vont se ressembler. Ainsi, du côté essence, le moteur atmo a disparu cette année. Au fur et à mesure que l'énergie fossile allouée diminuera, la cylindrée diminuera également, et Toyota pourrait bien avoir à envisager un 4 cylindres, comme Porsche. Enfin, le passage à 3 systèmes d'hybridation uniformisera les solutions avec 2 ERS-K sur les trains AV et AR, et un ERS-H sur l'échappement, soit une combinaison de la Porsche et de la Toyota.
Enfin, peut-on établir des parallèles entre l'évolution des LMP1 et celle des véhicules de série ? Oui et non.
- Oui pour la différence de rendement entre diesel et essence qui se réduit aussi en série, même si en LMP1, les calages variables sont interdits. De plus, en série, comme les poids ne sont pas imposés, le moteur essence profite de sa légèreté pour réduire encore l'écart avec le diesel.
- Probablement oui également pour la généralisation du turbo que l'on constate d'ailleurs déjà sur la série.
- Non pour aller vers une hybridation de plus en plus poussée, car les énergies à récupérer en LMP1 sont énormes. Ce n'est pas le cas sur la route, et plus l'on conduit cool, moins on a d'énergie à récupérer. La preuve en est que Toyota a bridé l'hybridation de sa P4 par rapport à sa P3, tout en obtenant de très bons résultats en terme de conso.
- Oui pour les progrès plus rapides qu'escompté des batteries (typées à fond puissance en LMP1). Ainsi Toyota a remisé ses super-condensateurs pour des batteries en LMP1. Et je serais étonné que la prochaine Supra adopte des super-condensateurs.
A bientôt pour de nouveaux exploits technologiques et sportifs permis par ce magnifique championnat !