L'histoire nous a déjà enseigné que jeter le lanceur à chaque lancement était une mauvaise idée, difficile de faire pire.
L'histoire dit aussi que si on l'a fait comme ça, il y a forcément une raison.
Créer une fusée réutilisable est une idée séduisante, mais je vais quand même décrire grosso modo ce qui se passe:
- Tous les composants de la fusée vont devoir être alourdis pour pouvoir encaisser plusieurs fois le décollage (6g dans la tronche)
- Il faut également prévoir du carburant pour amortir la descente
- Résultat des courses: la fusée sera plus lourde et utilisera beaucoup plus de carburant pour faire décoller le même objet
Il reste également à déterminer le nombre de fois où la fusée pourrait être réutilisée: 3 fois, 10 fois, 20 fois, ou à l'infini?
En structure, contrairement au jetable, le réutilisable on doit réfléchir aux phénomènes de fatigue, qui est assez complexe... là en plus on parle de fatigue acoustique/thermique encore plus complexe, en condition extrême.
(la fatigue est relativement nouvelle comme discipline...ça fait intervenir les statistiques... sans parler de fatigue de matériau composite complètement nouveau)
J'ai oublié qu'on peut ajouter la corrosion si la fusée n'est plus jetable (en plus elle sera récupérée en mer...).
Cela implique également une inspection/maintenance/mise à niveau impeccable et irréprochable: il faut arriver à détecter le moindre défaut de tous les composants (faut compter une bonne dizaine de milliers). Même une fissure nanométrique sur une visse on doit pouvoir découvrir.
Ensuite dès qu'il y a un défaut, il faut faire une dérogation: demander l'avis des ingénieurs d'étude pour savoir si ça peut être remonté, ou bien le jeter.
J'ai travaillé sur les dérogations des pièces de train d'atterrissage (sorti d'usine ou en réparation), ce n'est pas facile du tout d'être rigoureux et parfaitement sûr de ce qu'on valide. Il faut retrouver comment on a dimensionné la pièce, re-comprendre comment c'était les calculs, les reproduire, prendre en compte les nouveaux variables. (Bref j'ai passé une journée soit 450 euros pour savoir si je peux jeter une pièce de 500 euros...)
Tiens pour exemple, un gros boulon titanium a été corrodé et on gratte du coup 0,1 mm de matière autour pour enlever la corrosion.
OK ça se remonte si on lui rajoute une couche de nickel de 0,1 mm, j'ai refait les calculs c'est bon ça passe!
Bon en faite l'opérateur de l'atelier a oublié de précisé dans le rapport qu'il y a une micro-fissure qu'il n'a pas détecté: tout mon calcul est en fait faussé, mais je ne savais pas. Deux vols plus tard la fusée explose... je viens de cramer 1 milliard d'euros à mon insu.
Bref tout ça pour dire que contrairement à un produit neuf, la fusée réutilisable nécessite toute une logistique extrêmement rigoureuse et sans faute. La fiabilité EST le critère numéro 1 du marché de lancement.
Sinon pour éviter trop de risque, il faut alors jeter un grand nombre de composants, donc au final on va probablement récupérer qu'une petite part de la fusée.
En tout cas SpaceX va devoir cramer du cash pour encore des années, avant d'arriver à une rentabilité probable de leur fusée réutilisable.
(si elle fait preuve de fiabilité aussi...)
Heureusement ils sont très bien sponsorisés par l'Etat américain.