Déplacé dans un sujet à part, parce que ça mérite un peu de temps de cerveau.
Comme toujours, il y a plusieurs facteurs pour ce qui est en train de se passer. Certains sont ponctuels, d'autres sont de long terme.
- Avec la fin du Covid dans les pays riches (+Chine), l'économie, donc la consommation d'énergie de toute sorte, repart.
- Plusieurs pays en Europe ont eu un hiver plus froid que d'habitude et ont consommé plus de gaz pour le chauffage.
- On a fermé plusieurs dizaines de GW (!) de nucléaire en Europe depuis quelques années, en le "remplaçant" par des EnR et du gaz.
- Les Allemands ont remplacé pas mal de charbon par du gaz.
- Les EnR ont produit beaucoup moins sur l'ensemble de l'Europe cette année, et la production électrique a utilisé plus de gaz.
- La Chine s'est fâchée avec l'Australie, qui lui vendait beaucoup de charbon, et commence à en manquer. Une partie de leur conso se reporte sur le gaz.
- La Russie garde du stock de gaz, à la fois pour ses besoins, mais aussi pour faire pression sur l'Allemagne : ils espèrent que le gazoduc Nordstream 2 leur deviendra indispensable et qu'ils vont l'autoriser.
Quand on met tout bout à bout, forcément... La prod ne suit pas : la Norvège, 2e source de l'Europe a passé son pic de prod ; en plus le gaz se transporte relativement difficilement. Et malgré ça il y a maintenant surenchère entre la Chine et l'Europe pour acheter le gaz US pour assurer l'approvisionnement.
C'est tout ça qui fait que le gaz augmente à mort depuis quelques mois. Un exemple :
En plus des raisons "physiques", l'Europe a fait en sorte que le prix de la tonne de CO2 émise augmente - c'est l'ETS que j'ai évoqué ailleurs. Donc brûler du gaz est aussi plus cher pour des raisons "politiques". En un an, le coût du "droit de polluer" a doublé.
Voilà pour le gaz, maintenant le courant.
En Europe on a arrêté beaucoup de charbon et de nucléaire, et on a misé sur le gaz pour faire de l'électricité (Espagne, Allemagne, UK, bientôt Belgique, bientôt France ?). Forcément le coût du gaz en hausse fait monter les prix du courant. Là on combine les deux : plus de génération au gaz, avec un gaz qui coûte plus cher.
Chaque pays produit le gros de sa consommation, mais il doit aussi importer/exporter suivant les moments (sauf cas particulier de l'Italie qui importe quasiment en permanence). Donc une grosse partie de la conso se fait au prix "du pays", mais pour les imports on se tape les prix du marché européen. Et suivant les pays, c'est plus ou moins le drame. On parle là des prix payés par les fournisseurs de courant, qui doivent s'approvisionner sur le marché.
En Espagne, où ils font beaucoup à partir de gaz, les prix ont explosé. Pas de bol pour les consommateurs, les contrats "TRV" (tarif de vente régulé, autrement dit les contrats historiques dont les prix sont encadrés par l'état) sont beaucoup moins répandus qu'en France. Ils ont beaucoup de contrats "exotiques" du genre le kWh est indexé sur le prix du marché de gros, mais vous ne payez pas les deux jours où vous consommez le plus dans le mois (n'importe quoi...). Résultat : coût +35% pour les consommateurs sur un an en moyenne, et pour certains des hausses beaucoup plus importantes. Du coup le gouvernement a déjà pris des mesures choc pour baisser les prix - baisse des taxes pour les consommateurs, mais hausse des taxes sur les EnR et le nucléaire (qui ne paient pas pour le CO2 mais profitent du marché élevé) pour payer ces mesures. Maintenant ces producteurs bas-carbone "menacent" d'arrêter la prod, parce que leurs coûts deviennent prohibitifs avec ces taxes. Bref, c'est un magnifique bordel.
Maintenant l'Algérie vient d'annoncer qu'à la fin du mois ils couperont le gazoduc qui les relie. Ça représente la moitié des importations de gaz d'Espagne... Autant dire que les dirigeants se préparent des nuits blanches.
En France, la hausse du courant est plus faible qu'ailleurs parce que le courant est surtout fait avec hydro+nucléaire. Evidemment pour la partie importée, et la partie faite au gaz, il n'y a pas de miracle, mais ça reste minoritaire. Par ailleurs il y a beaucoup de consommateurs encore au tarif TRV.
C'est une énorme crise qui démarre, ça va avoir des répercussions sur tous les secteurs de l'économie. La Norvège (2e fournisseur de gaz de l'Europe après la Russie) a passé son pic de production. L'Algérie (3e fournisseur) n'a plus l'air de vouloir jouer avec nous. La Russie qui a des réserves au contraire a l'air de jouer avec l'Europe - faites ce que je veux ou je coupe le robinet. Mais on trouve encore des gens qui m'expliquent que le nucléaire n'aide pas pour l'indépendance énergétique, parce que l'uranium vient de l'étranger.
L'ennui est que les solutions structurelles mettent 20 ans a être implémentées. On paie maintenant les décisions débiles prises depuis 2000 : manque de politique énergétique européenne, marché électrique complètement tordu et faussé pour créer une concurrence artificielle, manque d'anticipation des pics de production, manque de cohérence entre la volonté d'augmenter le coût du CO2 et diminution du nucléaire, confiance dans des EnR intermittentes... Les politiciens sont prompts à nous assurer que les cours du gaz vont baisser à partir de mars. En fait personne n'en sait rien. La concurrence mondiale sera de plus en plus rude sur une ressource de plus en plus rare.