Le mythe : les centrales nucléaires ne peuvent pas fonctionner par temps de canicule, faute de refroidissement. Avec le réchauffement climatique, elles ne pourront bientôt plus servir.
Le raisonnement : une voiture hybride ne peut pas fonctionner quand il neige, les roues perdent l'adhérence et elle ne peut pas avancer.
Celui-ci est un mythe vicieux, parce qu'il comporte une toute petite partie de vérité. En se focalisant sur le nucléaire, qui n'est quasiment pas impacté, et en oubliant le reste, qui est beaucoup plus impacté, on arrive à faire facilement croire que le nucléaire a un souci particulier. En réalité tous les moyens de production de courant sont affectés par la canicule, et le nucléaire bien moins que les autres. En 2003, lors de la canicule, EDF a demandé 13 dérogations pour rejeter de l'eau plus chaude que la norme (cf. plus bas) : 7 pour des centrales nucléaires, 6 pour des centrales à charbon et pétrole. Personne n'a jamais mentionné la deuxième catégorie.
L'imaginaire collectif assimile les grandes tours de refroidissement avec les centrales nucléaires - en réalité toutes les centrales thermiques peuvent en avoir, que la chaleur soit faite avec du charbon, du gaz ou de l'uranium. C'est parce que toutes ces centrales ont besoin de refroidir de la vapeur.
Centrale nucléaire ? Perdu, la toute nouvelle centrale au charbon allemande de Datteln 4
En général, on colle les centrales en bord de mer (un quart des réacteurs français sont sur une côte) ou sur des cours d'eau. Celles en bord de mer ne sont même pas concernées par ce mythe : la mer ne chauffe jamais suffisamment pour être un souci.
On ne parle que des centrales sur fleuve donc. Et surtout des 10 réacteurs (sur 56) qui n'ont pas de tour de refroidissement. Les autres, sur fleuve mais avec des tours de refroidissement, sont beaucoup moins et beaucoup plus rarement concernés.
Que l'eau prélevée pour le refroidissement soit à 20, 30 ou 40 degrés, la centrale s'en moque : elle doit refroidir des systèmes à 200 ou 300°, alors 10° en plus ou moins en entrée ne changent rien. Les réacteurs pourraient tourner tranquillement par temps de canicule quelle que soit la température de la rivière.
Le refroidissement est très peu affecté par la température de l'eau
Ce qui limite, c'est la réglementation qui demande à EDF de ne pas réchauffer les rivières au-delà de x degrés. S'il fait très chaud, on arrive plus vite à cette limite, et EDF doit baisser (ou plus rarement couper) un réacteur. C'est uniquement une question de protection des poissons et des plantes aquatiques, rien à voir avec la capacité à fonctionner ou la sûreté des réacteurs.
Et ça tombe bien en France, la conso estivale est quasiment deux fois inférieure à la conso hivernale. EDF fait un maximum d'entretiens et d'arrêts en été. On a souvent environ 10 réacteurs qui ne produisent que pour exporter. Arrêter des réacteurs en été n'est pas un souci.
En revanche les périodes où il fait chaud sont beaucoup plus pénalisantes pour les autres producteurs de courant. Et ça bizarrement, on oublie d'en parler ; on entretient l'idée que c'est un problème spécifique du nucléaire.
Le photovoltaïque perd du rendement dès que les panneaux sont au-dessus de 25°. Pendant la canicule, leur température augmente très largement au-dessus, et ils peuvent perdre 10-15% de leur (maigre) production.
L'éolien c'est bien pire. Par temps de canicule, les masses d'air ne bougent pas, les éoliennes tournent très peu ou pas du tout, et la production s'effondre. On perd facilement 50-60% de la production, et ça peut aller jusqu'à ... 100%. Et là on ne parle pas de réduction volontaire de la puissance : c'est complètement subi.
L'hydro de barrage c'est un peu particulier, EDF aime bien le conserver en été pour l'utiliser en hiver. L'hydro au fil de l'eau perd aussi à cause de la baisse du niveau des rivières.
Et le nucléaire alors ? Ben sur l'ensemble du parc, il perd 2-3% de la production : carrément moins que les autres. C'est en réalité un des moyens de faire du courant les plus résilients de ce point de vue. Pour l'anecdote, la plus grande centrale nucléaire américaine est celle de Palo Verde : elle est littéralement située en plein milieu du désert de l'Arizona, sans mer, sans rivière. Le liquide de refroidissement utilisé ? Ce sont les égouts de la ville de Phoenix. Et là, il n'y a pas de limite pour l'augmentation de la température. La centrale au milieu du désert de l'Arizona n'est pas affectée par la canicule...
Deux graphes pour illustrer la chose. La semaine du 22 juillet 2019 était une des périodes de canicule. Les graphes représentent une semaine de prod sous forme de radar. La partie vive du centre représente la production réelle, le radar complet représente le maximum théorique de production.
Pour le nucléaire, la tache vive du centre c'est la production, et la bande fine plus claire c'est ce qui aurait été produit hors canicule :
Pour l'éolien : c'est simple, il n'y a quasiment pas eu de production... La canicule a été littéralement mortelle pour la production.
Ce n'est pas un cas isolé choisi exprès - on observe ça à chaque période de canicule.
Dire que le nucléaire est affecté par la chaleur est vrai, mais ne pas dire que les autres sont beaucoup plus affectés et seront beaucoup plus durement touchés par le réchauffement, c'est mentir par omission.
Dans les semaines qui viennent, on va de nouveau voir fleurir les reportages bidon sur les réductions de puissance chez EDF. A chaque fois que vous en verrez un, posez-vous la question - est-ce que les autres productions sont mentionnées ? Pourquoi on s'obstine à faire des reportages sur les voitures hybrides qui sont ralenties par la neige, sans jamais dire qu'elles s'en tirent bien, parce que les autres sont à l'arrêt complet ?